Rencontre avec Fabienne Garnier, enseignante spécialisée à la Réunion,  rééducatrice du geste d’écriture… Merci du temps que tu as pris pour nos lectrices, lecteurs fidèles… Fabienne, tu es enseignante spécialisée loin, très loin de la métropole, peux-tu te présenter et présenter ton parcours ainsi que ton actualité professionnelle actuelle ?

Je m’appelle Fabienne GARNIER, heureuse maman d’une adolescente de 16 ans et j’ai le bonheur d’exercer le métier dont j’ai rêvé depuis ma plus tendre enfance.

C’est après plusieurs années d’enseignement “dans l’ordinaire” que j’ai souhaité me spécialiser afin de mieux répondre aux besoins des élèves en grande difficulté. J’ai obtenu mon diplôme CAPA-SH option E en 2012. J’ai toujours aimé écrire, vraiment. C’est un réel plaisir pour moi que d’écrire.
Aujourd’hui dans le travail que j’exerce, je vois trop d’enfants en mal d’écrire… des souffrances au quotidien. Ils disent ne pas aimer écrire, se dévalorisent et se sentent en retrait des autres élèves parce que trop lents, parce que leur écriture n’est pas “conforme” et est souvent peu lisible…Ils mettent souvent du cœur à l’ouvrage pour s’appliquer, pour faire plaisir, mais cet effort a un coût non négligeable: ils développent une lenteur à la copie, ils portent leur attention sur le tracé des lettres au détriment du travail de réflexion qu’ils auraient à mener par exemple pour établir le lien graphophonologique ( dictée, production d’écrits…)

J’ai découvert Danièle DUMONT lors d’une formation en octobre 2014 sur l’enseignement de l’écriture. Il est vrai, notons-le, que l’écriture ne s’enseigne pas lors du cursus de formation des professeurs des écoles. J’ai été séduite par l’énergie de cette femme qui est à l’origine de la méthode qui porte son nom et séduite surtout par cette méthode qui outille enfin l’enseignant et prépare si bien l’enfant à “bien” écrire….

“Bien écrire” n’est pas synonyme de “ avoir une belle écriture”. Bien écrire, c’est surtout tenir et manier correctement le stylo pour obtenir une fluidité du geste et ne pas souffrir de douleurs à la main, au poignet, au bras, ou dans le dos. C’est également comprendre la formation des lettres et en intégrer le geste pour automatiser cet acte à la fois complexe mais pourtant si simple. C’est jouir de la liberté de pouvoir s’exprimer par écrit et de communiquer aux autres avec plaisir et fierté.

C’est donc naturellement que j’ai souhaité suivre la formation de rééducatrice du geste d’écriture et je suis heureuse aujourd’hui de pouvoir accompagner et réconcilier toute personne désireuse d’améliorer son écriture.

Rééduquer le geste d’écriture, à quoi ça sert à l’heure du numérique ? En quoi, ce geste d’écriture est-il si important ?

Très bonne question Anne ! Je commence ma réponse en expliquant ce qu’est le « geste d’écriture » et en empruntant la définition de Danièle DUMONT :

« Le geste d’écriture est un ensemble de processus mis en œuvre dans l’écriture, du moment où l’on s’apprête à prendre le crayon jusqu’à celui où l’on écrit en pensant ce qu’on écrit. »

« Le Geste d’écriture, méthode d’apprentissage, cycle 1 et 2, différenciation et transversalité »,p 64, Danièle DUMONT aux Editions HATIER

Rééduquer l’écriture c’est donc prendre en compte, de fait, la posture de la personne, la tenue du crayon et son maniement, le déroulement du tracé, la formation des lettres, la tenue de ligne… Ce ne sont pas des gestes séparés à rééduquer de manière isolée, ces processus ne forment qu’un seul geste parce qu’ils interagissent ensemble.
Il est important de rééduquer l’écriture pour redonner confiance en soi et permettre une meilleure communication par une écriture fonctionnelle, à savoir lisible et présentable.

Être au fait des nouvelles technologies, savoir s’en servir pour développer de nouvelles compétences, ou pour permettre de se dégager d’une tâche parfois trop pesante (je pense aux personnes présentant des troubles dysgraphiques par exemple), n’exclut pas de savoir écrire.
Il faut vivre avec son temps et apprendre à manipuler d’autres outils qui nous permettent de plus en plus de choses. Certes. Pour autant, cela ne signifie pas d’abandonner l’écriture. Socialement, pouvoir écrire, c’est jouir d’un «pouvoir», s’en priver c’est se priver de liberté.
Prendre des notes ou écrire furtivement sa liste de courses, écouter une conférence et gribouiller sur une feuille pour exprimer quelque chose, signer un document…autant de situations auquel un ordinateur ne pourrait se substituer. L’écriture permet aussi d’authentifier des documents. Comment s’en passer ?
Comme le dit Danielle Dumont: «Imaginez que le courant soit coupé trois jours durant, que ferions nous si nous ne pouvions même pas écrire ?»

Fabienne, en quoi consiste la rééducation ? Qu’apporte-t-elle ?

La méthode repose sur une observation fine de l’écriture qui permet ensuite la prise en compte des dysfonctionnements. Les séances sont individuelles, personnalisées en fonction de l’observation réalisée lors de la 1ère séance, et espacées dans le temps.

Pour garantir l’efficacité du travail, des exercices quotidiens, réguliers et de courte durée  sont à faire à la maison. C’est par la répétition du travail mis en place lors des séances et le respect des consignes que la rééducation pourra porter ses fruits et permettre l’automatisation du geste d’écriture.
La stratégie de remédiation est ajustée au cours de chaque séance en fonction des progrès obtenus.
La rééducation augmente la qualité de l’écriture, la facilité du geste qui s’automatise et gagne en fluidité. L’écriture devient lisible et présentable.

Quels conseils donnerais-tu à des enseignants de maternelle ? Que penses-tu des séances de graphisme ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que le graphisme ?

Le conseil aux enseignants de maternelle ? Courir à la librairie, s’acheter le livre de Danièle DUMONT et mettre en pratique sa méthode.  😉
Enfin un véritable apprentissage de l’écriture qui débute dès la maternelle.

On travaille sur des compétences essentielles : la tenue correcte du crayon, le déplacement adapté des organes effecteurs (bouger les doigts, déplacer son bras), l’organisation de l’espace graphique …

Des vidéos claires et très intéressantes sont à regarder aussi sur YOUTUBE :
➡ La modélisation

 ➡ Le système d’écriture

➡ La forme des lettres, la lettre a

Je n’oublie pas ta question sur le graphisme… Bien faire la différence entre graphisme et écriture,  surtout…

J’ai moi-même fait cet amalgame lorsque j’étais enseignante. J’enseignais le graphisme pour que mes élèves apprennent à écrire. C’est une erreur. J’expliquais que pour écrire la lettre « m » ( «en attaché»), il fallait tracer les « ponts », tracer une « canne » bien droite, puis repasser sur le trait et monter jusqu’à la ligne d’en haut et « tourner »… Je verbalisais cette action en motivant les élèves.

Ce travail n’avait rien à voir avec de l’écriture.

Aujourd’hui, j’ai compris que «écrire» n’est pas “dessiner une trajectoire”.

Essayez d’écrire le mot «mercredi» en verbalisant le «chemin» de votre tracé…. ça y est, c’est fait ? L’écrit doit faire sens. On ne peut pas avoir présent à l’esprit le mot à écrire et la trajectoire à prendre pour l’écrire. Cela ne permet pas l’accès à la relation grapho-phonologique.

Le graphisme concerne les activités graphiques que l’enseignant propose aux élèves dans un but « décoratif ». Ainsi tracer une suite de lignes brisées, sans autre consigne précise, est une activité de graphisme, pas une préparation à l’écriture. En revanche, si dans le cadre d’une activité « graphique » que l’enseignant propose à l’enfant, il lui est demandé de coller des gommettes sur une ligne virtuelle, l’objectif étant de travailler la tenue de ligne, cette activité sera une activité de préparation à l’écriture.

Tout dépend de l’objectif de l’enseignant.

Il n’est pas question d’arrêter les activités de graphisme, il s’agit simplement de clarifier ce qu’on enseigne et ne pas faire l’amalgame entre graphisme et écriture. L’écriture répond à un code dans lequel figurent les lettres composées de formes. C’est là tout le travail de Danièle DUMONT qui a créé la modélisation de l’écriture, soit le processus de formation des lettres.

Pour pouvoir écrire ces lettres je dois développer des compétences motrices (généralement travaillées hors écriture). Enfin, l’écriture répond à des contingences spatiales qui ont un impact sur la lecture (dimension, proportion et inclinaison des lettres, espacement entre les lettres, entre les mots, horizontalité de la ligne).

L’écriture est un véritable système dans son ensemble, d’où le terme «système d’écriture» que Danièle DUMONT utilise dans son ouvrage.

Cette rééducation s’adresse-t-elle également aux élèves présentant une dyspraxie associée à une dysgraphie ?

La rééducation concerne toute personne qui est en difficulté avec son écriture. Elle peut bien entendu s’adresser aux enfants qui ont un trouble d’apprentissage de type dysgraphie ou dyspraxie. Le nombre de séances variera en fonction des besoins. Une rééducation demande en moyenne 4 à 10 séances, hors cas pathologique.
Une nouvelle police de caractères vient d’être créée… Allez y jeter un oeil, c’est ici.

Un peu de poésie pour conclure, ça vous dit ?

Page d’écriture  (Jacques Prévert)

Deux et deux quatre

quatre et quatre huit

huit et huit font seize…

Répétez ! dit le maître

Deux et deux quatre

quatre et quatre huit

huit et huit font seize.

Mais voilà l’oiseau-lyre

qui passe dans le ciel

l’enfant le voit

l’enfant l’entend

l’enfant l’appelle :

Sauve-moi

joue avec moi

oiseau !

Alors l’oiseau descend

et joue avec l’enfant

Deux et deux quatre…

Répétez ! dit le maître

et l’enfant joue

l’oiseau joue avec lui…

Quatre et quatre huit

huit et huit font seize

et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?

Ils ne font rien seize et seize

et surtout pas trente-deux

de toute façon

et ils s’en vont.

Et l’enfant a caché l’oiseau

dans son pupitre

et tous les enfants

entendent sa chanson

et tous les enfants

entendent la musique

et huit et huit à leur tour s’en vont

et quatre et quatre et deux et deux

à leur tour fichent le camp

et un et un ne font ni une ni deux

un à un s’en vont également.

Et l’oiseau-lyre joue

et l’enfant chante

et le professeur crie :

Quand vous aurez fini de faire le pitre !

Mais tous les autres enfants

écoutent la musique

et les murs de la classe

s’écroulent tranquillement.

Et les vitres redeviennent sable

l’encre redevient eau

les pupitres redeviennent arbres

la craie redevient falaise

le porte-plume redevient oiseau.