Nous nous sommes quittés sur les écrits de travail et des pistes suggérées par Denis Alamargot. Nous nous rendons aujourd’hui du côté du brouillon et de la place de l’orthographe, la grammaire dans la rédaction…Bonne lecture de ce 2ème épisode.

Rude tâche que de commencer une narration, comment accrocher le lecteur ? J’ai choisi de vous livrer un extrait d’un très beau texte (et par ailleurs très intéressant) d’Olivier Lumbroso, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, pour ouvrir “en beauté” !

“Prends ton cahier de brouillon et écris. Écris, bon sang ! Cela viendra en écrivant…”

Quel enseignant n’a pas été surpris un jour par la copie d’un élève qui, entre le début et la fin d’une rédaction, oublie en route son héros, la couleur de sa cape, laisse croupir la belle dans le donjon, tue un dragon qui revient sans raison à la page suivante, passe du jour à la nuit comme du coq à l’âne, change de princesse à chaque péripétie ?

Alice et Superman rongent leur frein dans les oubliettes du récit de l’élève qu’on dit « tête en l’air » ! En réalité, quand il lui faut écrire en pensant à tout, on peut comprendre qu’on oublie parfois ces «détails » qui font un récit correct d’un bout à l’autre : inventer, organiser, écrire et corriger simultanément, sur le long terme, et dans le contexte de la classe qui impose ses créneaux horaires d’inspiration littéraire. Quel travail de mémoire, de concentration, de maîtrise de la langue !

Quel élève désabusé n’a pas un jour pensé que sa tête était farcie d’idées, mais qu’il ne trouvait pas les mots pour les dire ? Des cohortes ont reçu le même conseil sermonné avec une gravité qui pensait les aider à dépasser l’angoisse de la page blanche : “Prends ton cahier de brouillon et écris. Écris, bon sang ! Cela viendra en écrivant…” Car c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est bien connu.
Oui, parfois ça vient. Mais parfois, pas du tout. La page, ou l’écran, restent vierges. Se souvenir des lignes griffonnées pour assurer le suivi de la narration, mettre en mots les idées qui traversent l’esprit comme des fusées qui ne veulent pas se poser sur la feuille, ce sont des capacités qui se développent lentement, au cours des apprentissages, à l’école, au collège, ailleurs aussi.
Pour parvenir à une maîtrise satisfaisante de l’écriture, faut-il avoir beaucoup écrit ? Oui, beaucoup, souvent, et diversement. Mais selon quelles méthodes ? Avec quels outils, si nombreux de nos jours dans le contexte du tout-numérique galopant ? Le plus souvent, en classe, on écrit ce qu’on a à dire ligne après ligne, sur une feuille ou un cahier de brouillon, puis on corrige les fautes, on modifie parfois le texte entre les lignes et on rend son travail après une éventuelle réécriture.

Sur l’écran, on ne rature pas mais on efface, le mot, la phrase, la ligne, le paragraphe, en un clic de souris. On efface, on ajoute, on déplace, on remplace, comme dans un brouillon papier, avec encore plus de facilité ergonomique. Mais est-ce qu’écrire ainsi au fil de la plume(ou du clavier) n’est pas plus difficile qu’on ne le pense, lorsqu’on est un scripteur débutant ?”…

Clarifions ce que l’on appelle “rédaction”.
Précédemment, nous avons parlé de planification, de révision, de réécriture, d’aller-retour entre la lecture et l’écriture, d’interaction sociale.
Aujourd’hui, le “modèle”, le canevas qui domine, préconisé par les chercheurs, et les didacticiens reprend  le modèle de base (des années 1960, de G. Rohnman) :

La planificationc’est-à-dire la recherche d’idées, la collecte de connaissances et leur organisation en vue de la rédaction d’un texte : celui ou celle qui écrit fait l’inventaire de ce qu’il a à dire et structure cet inventaire.

La mise en texte : L’élève procède à la mise en texte des idées retenues et organisées, c’est la phase de l’écriture à proprement parler.

La révision : Le scripteur analyse son texte et procède aux mises au point nécessaires (syntaxe, lexique, orthographe…) afin de traduire au mieux ce qu’il souhaite exprimer.

et le combine avec celui de L. Flower et J. R. Hayes (diffusé en France par Michel Fayol.), en y ajoutant l’importance d’écrire “en relation” avec le lecteur, mais aussi “en relation” avec “ce que je suis”, moi qui écris, et bien sûr,  l’incontournable sollicitation de la mémoire de travail, et de l’aisance graphomotrice.

Modèle de Hayes & Flower (1980) adapté par M.Fayol (1996)

💡 Pour aller plus loin, retrouvez sur le site de l’IFé, en téléchargement gratuit, un excellent dossier de veille, rédigé par Claire Joubaire,  (Ré)-écrire à l’école, pour penser et apprendre

Revenons maintenant à ce que nous dit Olivier Lumbroso des brouillons.
“Le brouillon, ça ressemble à du texte, mais ça n’est pas du texte” ! En effet, notre conférencier va distinguer deux définitions, c’est la 2ème qui retiendra son attention, et la nôtre :

  • Définition générale, un brouillon est un écrit de travail visant la rédaction et la mise au point d’un texte, on y verra des corrections fréquentes (ratures et réécritures). C’est un écrit provisoire, qui se situe avant le texte achevé.
  • Définition génétique : un brouillon est un document de genèse qui relève de la zone rédactionnelle de l’œuvre : les plans détaillés d’épisodes et de  chapitres, les fiches personnages, les versions de la mise en texte…
    On y voit les traces de la structuration, de la documentation, de la mise en texte de l’oeuvre.

Afin de rendre opérationnel ce brouillon dont de nombreux enseignants disent “ne pas savoir quoi en faire”, dont de nombreux élèves affirment :  “J‘en fais pas, parce qu’après, je n’ai pas le temps de recopier, et puis, quand je recopie, j’écris jamais la même chose !”
[NDLR : Je faisais partie de ces élèves-là, pas vous ?], Olivier Lumbroso propose plusieurs pistes :

  • Regarder le brouillon comme un processus. Evalue-t-on le processus ?
  • Procéder en fractionnant la tâche, puis les combiner, plus tard, quand certaines tâches de bas niveau sont automatisées. D’abord, l’invention et la composition, puis le toilettage orthographique.
  • Proposer des “brouillons graphiques” (ou pour les plus grands, des brouillons sous forme de cartes mentales).

Ces brouillons graphiques , où l’élève est auteur-dessinateur,  peuvent ressembler par exemple à ceci pour le premier jet, celui de la trame de l’histoire. On peut imaginer en faire d’autres où l’on met le focus sur la description d’un personnage, d’un lieu…. Une feuille A4 (ou A3) séparée en 4, une règle, un crayon à papier, un sujet, un thème d’écriture, un déclencheur sonore ou visuel (ou les deux….), une banque de mots cherchée ensemble avant, ou à constituer peu à peu à la demande, c’est vous qui voyez…

Oui, il faudra du temps pour cette oeuvre pré-rédactionnelle, mais “le temps long, c’est l’espace démocratique”, affirme Olivier Lumbroso avec fougue et conviction. Il semble important de se pencher sur la didactique du “pré-rédactionnel”, le brouillon est un droit expérientiel, c’est l’espace de l’expérimentation et de l’audace… Conclue-t-il.

Dirigeons-nous maintenant vers “le mal-entendu fécond” que peut représenter l’erreur de syntaxe, d’orthographe, de lexique, ….
Savons-nous identifier dans un texte en devenir, les tâtonnements parfois distants des catégories savantes ?
Rédiger va supposer “traiter” simultanément et de la manière la plus experte qui soit les activités métalinguistiques que sont la grammaire, la conjugaison, l’orthographe et la tâche scripturale ! ça n’est pas une mince affaire et en effraie plus d’un, y compris parmi les adultes.
Nous comprenons bien qu’il va s’agir d’un processus long, qu’il va nécessiter un accompagnement, et une pratique régulière. Marie-Laure Elalouf, de l’Université de Cergy-Pontoise nous montrera combien la majorité des manuels de français, au premier degré comme au second, met en avant la grammaire pour l’analyse et non la grammaire pour la production. Elle rappellera également que les “connaissances déclaratives” sur la grammaire n’améliorent en rien la rédaction (150 ans que cela est dit !! même Jules Ferry s’y était mis !). Travailler à partir de corpus de textes d’élèves est bien plus productif, motivant et générateur de progrès.
Se posent alors les questions du lien entre la lecture et l’écriture, de l’intégration de l’apprentissage du lexique dans la production écrite, de la place de la grammaire dans la production écrite, et celle bien évidemment de l’orthographe ! Bernard Lété, de l’Université de Lyon 2, Francis Grossmann, de Grenoble Alpes, Patrice Gourdet, de l’université de Cergy-Pontoise et Linda Allal, de l’université de Genève ont pour mission d’éclairer ce vaste sujet : “Etude de la langue et production écrite” : Par quoi commencer ? Comment les articuler ?

 

C’est par nos lectures que nous apprenons à rédiger. Nous lisons, écrivons, orthographions puis rédigeons. On apprend par l’extraction de régularités statistiques et par l’extraction de règles. Plus on est “exposé” à un mot (un lemme), plus on a de chance de l’intégrer : fréquence d’exposition nécessaire : 7 confrontations à un mot pour qu’il soit mémorisé en réception de l’écrit. La récupération et l’activation sont beaucoup plus compliquées. La production écrite requiert un processus attentionnel important (nous avons vu plus haut l’importance de la mémoire de travail dont on sait qu’elle est affectée lors d’un déficit attentionnel). Je vois là une précaution à prendre lors du choix des lectures données à nos élèves, mais aussi aux contraintes d’écriture (supports, types de texte…) que nous leur soumettons. Repérer les occurrences selon le niveau de classe, choisir des mots qui se terminent par tel ou tel son, ou qui commencent ou qui le contiennent, quel boulot pour l’enseignant ! Et bien Manulex (enfin Bernard Lété et son équipe) l’a (ont) fait !! Une immense base de données à votre disposition pour analyser finement les écrits donnés à lire, mais aussi pour constituer des corpus de mots pour la phonologie, établir des listes de mots à mémoriser, vérifier l’accessibilité d’un texte. Si comme moi vous avez quelques difficultés à l’utiliser, choisissez la solution facile et pratique : Dans l’onglet téléchargement, cliquez sur télécharger le fichier excel 
puis, ouvrez-le. Vous obtiendrez tous les mots ou avec leurs occurrences selon le niveau de classe. Pour faire un tri, sélectionner uniquement les mots qui se terminent par le phonème [oer] par exemple, voici un petit mode d’emploi en image : Vous avez sélectionné la colonne A ou B, cliqué sur l’onglet “Données”, puis “filtre”, une petite flèche apparait dans la colonne, vous cliquez sur cette petite flèche et vous choisissez l’option de tri souhaitée… magique, non ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Francis Grossman va lui aussi apporter un éclairage très intéressant sur le nécessaire apprentissage du lexique, par le biais des réseaux lexicaux notamment.

Le lexique est un réseau et une interface qui font interagir des niveaux divers. Dans une vision un peu “traditionnelle”, on dit que le lexique est “la chair” de la langue, et la syntaxe en est “l’armature”. Pourtant, nous ne mémorisons pas des mots isolés, mais des unités lexicales, intégrées dans des construction. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quand on parle de didactique du lexique,  nous pouvons faire des activités différentes autour de ce même terme. Pour la production d’écrit, si on prend le mot incendie, on peut associer des genres de texte (le fait divers ou le roman ou des manuels de consignes…), on peut aussi regarder la morphologie, on peut aussi aller du côté des actions (des schémas cognitifs : mettre le feu, …). Toute cette exploration ne peut qu’enrichir le lexique et venir appuyer la rédaction. C’est ce que nous faisons lorsque nous travaillons sur les champs lexicaux d’un texte, ce qui nous permet d’en dégager le thème, mais aussi l’intention de communication. La disposition en schéma, les couleurs selon les liens, l’introduction d’expressions imagées, de verbes synonymes … permettront aux élèves une mémorisation plus aisée et plus durable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment faire le lien entre ces activités de construction de réseaux lexicaux et la production écrite ? C’est certainement à partir des écrits des élèves que l’on va proposer des révisions portant sur la construction de la phrase, sur les erreurs sémantiques. Nous avons plutôt tendance à repérer les erreurs morphosyntaxiques au détriment, parfois de la “fabrication” de la phrase. Ne pas hésiter, lors des phases de révision à faire des propositions entre deux “formulations” :

Exemple : L’élève a écrit : Il est affolé. Il se met à courir. Nous pouvons lui proposer de “changer l’ordre des mots” et de ne faire qu’une phrase simple : “Affolé, il se met à courir”. “Affolé” décrit une émotion, “courir”, l’expression de celle-ci. Le lexique des émotions est important bien sûr, mais n’oublions pas d’en explorer également les manifestations. Substituer, intervertir, remplacer, ponctuer différemment, sont des opérations de révision tout à fait intéressantes et bien sûr modélisantes.

L’utilisation des dictionnaires (numérique ou papier), des banques de mots, de référents fabriqués est bien sûr tout à fait appropriée, Manulex, bien sûr, mais aussi Ortolangue.
Outil magique où à partir d’un mot (un lemme), vous pouvez obtenir sa morphologie, sa lexicographie (c’est-à-dire les différentes définitions de ce mot), ses synonymes, antonymes, sa proxémie (étude des distances sémantiques et des interactions entre les termes)… un tuto à télécharger ci-dessous… Notamment pour les profs-doc et les profs de lettres… mais pas que !! Rappelez-vous, on écrit dans toutes les disciplines, ce qui suppose l’appropriation d’un lexique spécifique.

Méthodologie documentaire Lettres-TD7

 

 

Arrive tout naturellement la question de la grammaire et de son utilité dans l’amélioration de la production écrite…
Patrick Gourdet, enseignant-chercheur en science du langage à l’Université Cergy-Pontoise. Le décor est vite planté. OUI, pratiquer des activités d’étude de la langue dès le CP a un impact fort sur les performances dans le “lire-écrire”.
Mais attention ! les connaissances déclaratives, les “discours” sur la grammaire, le lexique, l’orthographe ne produisent pas d’effet !
Cela fait 150 ans que l’on fustige la démarche déductive en étude de la langue !
Clarifions le terme dont il faut se méfier de la polysémie, sous peine de malentendus.

 

Ainsi, dans notre travail en équipe, du CP à la 6ème, nous allons reconsidérer la finalité orthographique, délimiter les unités à analyser (le mot, la phrase, le texte, le discours), préciser les activités à mener (mémorisation, réflexion) et articuler le “métalinguistique et le métalangagier” : l’analyse et la réflexion sur la langue seront à articuler avec la terminologie utilisée dans les différents niveaux de classe.

INVENTAIRE (à la Prévert)

Faire de la grammaire pour améliorer la production écrite, c’est :

– Avoir une approche qui explicite les faits de langue, une approche métalinguistique.
– Favoriser les échanges au sein de la classe afin que, face à une “situation problème”, soient faits des choix, soient prises des décisions d’écriture, de rédaction.
Articuler production écrite et grammaire, dans un sens, mais aussi dans l’autre.
– Multiplier les situations de réflexions métalinguistiques, les manipulations syntaxiques sur la phrase, sur le texte.
– Articuler une pratique raisonnée de la langue en contexte d’écriture et des activités hors contexte pour étudier la langue en tant que système.
– Etablir un consensus, en équipe, sur des notions-noyaux efficientes pour écrire et stabiliser les savoir, la terminologie et proposer une progression.

 

 

En ce qui concerne l’orthographe, Linda Allal (Université de Genève) est dans la même ligne que son collègue Patrice Gourdet, elle pose le cadre tout de suite : son postulat de base est que les activités de production écrite (apprentissage intégré et non plus spécifique) assurent la structuration progressive des compétences orthographiques des élèves. Elle précise toutefois que les élèves ont besoin d’exercices réguliers (dont la dictée) “hors contexte” avec alternance de production pour initier les élèves à utiliser l’orthographe en contexte.
Elle aussi prône l’interaction des élèves, notamment dans un travail en dyade (en France, nous parlons plutôt de binôme). Celui-ci permet de doubler le nombre de révisions du texte, le bénéfice est partagé par la régulation d’un pair.
Linda Allal propose, je trouve cela tout à fait intéressant, d’apprendre à nos élèves cette “révision dyadique” par des modélisations collectives répétées de scénarios d’interaction : “Pourquoi as-tu écrit ça ?”, “Je ne suis pas d’accord parce que ….”, “Donne-moi la règle qui ….” . Elle suggère que ces dyades soient constituées par affinité, et le plus possible hétérogènes. Bien sûr, chaque dyade a en sa possession des outils de référence, si possible bâtis ensemble.
Elle propose également ce qu’elle nomme “une séquence intégrée avec une structure en boucle”. Pour la France, nous pouvons faire le parallèle avec le projet d’écriture, les phases de révision du premier jet, et l’articulation avec des activités que l’on nomme “décrochées” visant à améliorer les connaissances grammaticales.

 

 

 

 

Afin de tenir compte des différences interindividuelles persistantes, Linda Allal préconise

💡 une différenciation accrue des tâches décrochées, selon la nature des erreurs des élèves dans le premier texte produit.

💡 un soutien personnalisé en classe, et hors classe.

💡 la mise en oeuvre de la coopération lors des tâches de révision textuelle.

Au fait, savez-vous quel est le mot écrit “juste” à 100 % en CP ?… Réponse la semaine prochaine pour le 3ème et dernier épisode (consacré à l’importance du geste grapho-moteur et à l’évaluation des écrits), avant la parution des préconisations et la mise en ligne de toutes les conférences, le 11 avril….