Apprendre, c’est sérieux. Sérieux ou important ? Importance du choix des mots. Connotation de certains termes. Alors, jouer pour apprendre, est-ce de la démagogie ? Est-ce une perte de temps ? Est-ce sacrifier le jeu sur l’autel du sérieux ? Voyons ceci d’un peu plus près, voulez-vous ?

“Pour l’enfant qui rentre à l’école, « on ne joue plus, on travaille ! » En d’autres termes, on ne pourra plus faire « ce qu’on veut », il faudra se soumettre aux injonctions du principe de réalité. Plus question de partir dans des mondes imaginaires où tout est possible, voici venu le temps de se coltiner la résistance des êtres et des choses : il faut être sérieux !… D’où, effectivement, certaines positions qui font du jeu à l’école une hérésie : une régression et un non sens aux regard des finalités scolaires. Mais raisonner ainsi, c’est ignorer le vrai statut du jeu : c’est confondre le jeu et l’infantile. Or, l’infantile n’est pas le jeu, c’est la suppression, ou, au moins, la dilution, de la frontière entre le jeu et le non-jeu. L’infantile, c’est le jeu permanent et sans véritable règle… Ce n’est donc pas le jeu ! …” Philippe Meirieu (entretien entier à télécharger ci-dessous)
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Cet entretien (que je vous invite à lire, vraiment !) montre bien que “le jeu dans la classe” doit être pensé, construit, et maîtrisé par l’enseignant. L’enseignement explicite y a toute sa place, renseigner les élèves sur l’enjeu du jeu est fondamental. Philippe Meirieu, en fin de propos, évoque la métacognition. On pourrait parler également de rétroaction, ou de feed back, mais aussi de mise en projet. Je sais avec qui je joue, pour quoi je joue, et ce que je vais faire de tout ceci.

Nos élèves, nos enfants jouent beaucoup… en ligne, sur leurs tablettes, sur l’ordi, sur le téléphone… Ce que je vous propose ci-dessous ne concerne pas ces jeux “numériques”. Nous allons plutôt explorer l’aspect “traditionnel” du jeu que l’on appelle encore parfois “les jeux de société” (on y jouait dans les salons de la noble société ! mais aussi parfois, sur la place du village, avec “les moyens du bord”). Loin de moi l’idée de rejeter l’outil numérique… Simplement l’envie, l’intuition, la conviction que “jouer pour de vrai, avec de vrais supports, de vrais partenaires”, ça existe encore, ça motive toujours les élèves et ça développe tout plein de choses dans notre cerveau que ne développent pas forcément les jeux en ligne ou autres jeux numériques…

J’aime bien me référer à la neuroéducation, je vous propose de vous pencher à nouveau sur les 4 piliers de l’apprentissage définit par Stanislas Dehaene et son équipe (descendre presque tout en bas de la page pour retrouver la vidéo). Nous pourrions ainsi faire le parallèle avec les situations de jeu que nous mettons en oeuvre dans nos classes pour “entrer” dans un apprentissage pensé sur plusieurs modes (modes visuel, auditif, kinesthésique) et les 4 conditions pour un “mieux apprendre”…. sans oublier bien sûr ce qui relève du climat de la classe, de la prise en compte des émotions… 

Clic sur l’image pour la “lire”.

Bon, les préalables sont posés… Alors maintenant, à quoi allons-nous jouer ?

💡 A fabriquer des jeux pour nos élèves avec les moyens du bord, une plastifieuse A3/A4 est quasi indispensable !! Du time’s up au dobble, ou  au cadavre exquis en passant par le Pictionnary, sans oublier le jeu de kim ou le jeu du portrait, du message chuchoté ou de l’histoire à inventer à partir d’une liste de mots piochés mais aussi la bataille navale pour se repérer sur un quadrillage ou réviser les tables de multiplication…. Point n’est besoin d’avoir des mille et des cents dans sa caisse de classe ! Juste du temps pour fabriquer tout ça 😉  (et si on mutualisait les jeux fabriqués par les uns et par les autres au sein de son équipe ?).
A ne pas oublier : Positionner le jeu au moment voulu de l’apprentissage, rendre explicite celui-ci, prendre le temps de la rétroaction (cognitive tout autant qu’affective), en évaluer les effets et bien sûr permettre le transfert dans d’autres situations avec d’autres modalités, d’autres supports.

➡ A utiliser sans modération, surtout chez les plus petits, tous les jeux du type petits chevaux, jeu de l’oie, dominos, kapla, mécano, légo…. Une de mes amies, enseignante en grande section maternelle a organisé un temps “intergénération” où grands-parents et enfants jouent ensemble aux jeux de société. Ce moment est ritualisé… et magique m’a-t-elle dit. Encore une fois, bien sûr, on peut jouer aussi pour développer, renforcer les habiletés sociales et la coopération.

➡ A introduire et susciter de la curiosité chez les élèves, les jeux coopératifs. Peu courants encore, ils surprennent parce qu’on joue tous ensemble “pour la même cause”. La compétition n’est pas le maître mot ! Vous pouvez aller voir ici pour plein d’idées… Un excellent moyen d’apprendre à coopérer avant de coopérer pour apprendre.
💡 Fichiers de jeux coopératifs à télécharger
Graines-de-Paix-SCI-Jeux-de-cooperation-FR-1

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➡ Des jeux pour renforcer l’orthographe, le vocabulaire, apprendre les tables de multiplication,  mais aussi entrainer à la rapidité, la flexibilité, l’inhibition…. Je les ai découverts par le biais d’EducaFlip, un festival annuel où on passe son temps à jouer, à tester et où les gagnants obtiennent le label “EducaFlip”.
Découvrez les membres du jury en train de jouer, avec les explications du jeu présenté ici

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai un petit faible pour “Mélicado”, regardez !

Mais aussi, “Comment j’ai adopté un dragon” où après avoir inventé une histoire plus ou moins farfelue, surprenante, une histoire qui se conte… on peut passer à une histoire qui s’écrit… Prévoyez alors de quoi enregistrer les “pépites” de vos élèves pour travailler le passage de l’oral à l’écrit, par exemple ou encore bâtir une histoire à mettre en voix et en gestes… De nombreuses pistes à inventer…

De nombreuses idées pour d’autres jeux, clic sur l’image

 

 

 

 

 

 

POURQUOI JOUER ?

N’est-il pas temps de “théoriser” un tout petit peu et de lister quelques arguments pédagogiques imparables ? Alors, allons-y :

Ten reasons why….

💡 Permettre l’expression des intelligences  : L’utilisation des différents modes (visuel, auditif, kinesthésique),  mais aussi l’intelligence interpersonnelle fortement sollicitée ne peuvent que renforcer la motivation et l’attention. L’humour et les éclats de rire qui vont ponctuer les parties sont de beaux ancrages à la mémorisation.

💡 Rendre les apprenants actifs. Les chercheurs en neurosciences et en pédagogie ont abondamment montré que la passivité dans l’apprentissage ne donne aucun résultat efficace. Les recherches actuelles suggèrent que tout peut – et devrait – être enseigné à travers une pédagogie active et interactive.

💡 Favoriser des interactions réelles entre les apprenants qui ne passent pas forcément par l’enseignant.

💡 Développer l’apprentissage mutuel. Une stratégie éprouvée et efficace pour apprendre est d’encourager les participants à apprendre les uns des autres. Beaucoup de jeux se basent sur l’apprentissage coopératif entre les membres d’une équipe,  et/ou la compétition entre équipes. Certains jeux qui favorisent une forte interaction au sein des groupes peuvent permettre aux élèves de s’organiser afin de pouvoir tirer parti des compétences diverses, et de répondre aux besoins spécifiques de certains de nos élèves.

💡 Transformer un contenu pour le rendre plus facilement accessible. Les jeux permettent de transformer rapidement le contenu d’un enseignement, pour en faciliter la compréhension et la mémorisation. La surprise, la nouveauté renforcent l’intérêt, la motivation et l’attention.

💡 Présenter l’évaluation sous une autre forme. Les jeux permettent d’inclure l’évaluation des connaissances et des compétences. Par exemple, le test final pour un programme de formation pourra être présenté sous forme de mots croisés. Ou les questions d’un quiz peuvent être régulièrement posées entre équipes pour tester le niveau de maîtrise des participants et permettre la rétroaction et donc le réajustement.

💡 Développer la prise de décision. La participation aux jeux nécessite des élèves de prendre des décisions et de réaliser différentes tâches. Lorsque ces décisions doivent être prises à plusieurs pour continuer de jouer, les élèves seront amenés à argumenter, à écouter le point de vue de leurs partenaires et le cas échéant accepter qu’il soit différent du leur…

💡 Favoriser des retours d’expérience immédiats. Le plus souvent, la meilleure manière d’acquérir des compétences est de répéter de nombreuses fois le bon comportement, et de recevoir un feedback (une rétroaction) immédiat(e). Beaucoup de jeux transforment des activités ennuyeuses en compétitions stimulantes. Le jeu favorise les comportements attendus, et le décompte des points permet d’illustrer concrètement l’accroissement des habiletés.

💡 Faciliter la différenciation pédagogique par la sollicitation d’intelligences habituellement peu convoquées en classe, par la variété des supports (cartes, dés, pions, figurines, déplacements….) par la possibilité d’adapter les règles et de les moduler en fonction du joueur.

💡 Créer un climat de classe serein, dynamique, bienveillant et sécurisant (surtout si on utilise souvent les jeux coopératifs).

 

 

UN POÈME

Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrême
un poème.

Raymond Queneau, L’instant fatal